Eduquer n’est pas elever (partie 3)

Article publié dans le numéro 4 du magazine Lavida

Eduquer n’est pas élever (partie 3)

Mains
Bonjour Guillaume. Dans le numéro précédent, vous nous proposiez avec un trait d’humour de continuer à  parler d’éducation sur le thème : Comment les enfants font grandir leurs parents… ou non… Qu’entendiez vous par là ?

Je lis souvent à mes patients un joli texte qui raconte l’histoire d’une vieille dame qui s’appelait Rose et qui avait entrepris dans son grand âge de reprendre des études et d’obtenir un diplôme, ce dont elle rêvait, mais qu’elle n’avait pas pu réaliser étant plus jeune. Le texte raconte une allocution qu’elle a faite aux étudiants de sa promo peu avant l’obtention de son diplôme et de son départ. Son message profond tenait en une phrase, une sagesse de l’expérience de toute une vie:

Vieillir est une nécessité, grandir est un choix !


Dans nos entretiens précédents, nous faisions la différence entre le fait « d’ élever » un enfant et de « l’éduquer », en montrant que « l’élevage » avait plutôt à voir avec la dimension corporelle, afin de l’aider à se construire un organisme en bonne santé, alors que l’éducation avait plutôt à voir avec le développement de sa conscience, sa créativité et sa capacité à réinventer son rapport au monde tout au fil des joies et des épreuves de son existence. C’est à nouveau cette polarité qu’évoque Rose qui continuait à s’éduquer elle-même, malgré son corps vieillissant, en reprenant des études et en se donnant l’occasion d’échanger avec des plus jeunes qu’elle, pour nourrir sans cesse sa conscience des énergies et pensées renouvelées de la vie par ces plus jeunes, et éviter de « vivre » dans la routine, les pensées mortes et les habitudes. Camus disait que « La routine, c’est la mort ». Rose l’avait bien compris comme les sages orientaux ou les physiciens qui nous rappellent qu’il n’y a qu’une seule chose qui ne change pas,… c’est le changement. Vivre dans un monde routinier, dans une « conscience » routinière, c’est cesser de grandir, nier les lois de l’évolution et se préparer un a-venir vide de vie dans les meilleurs cas, tragique physiquement et psychologiquement dans les pires. Ne sont vieux que ceux qui cessent de croitre, de nourrir leur conscience des énergies de la jeunesse et du monde présent, et qui n’ont plus de rêves dans ce monde ou dans un autre. Et il n’y a pas besoin d’être âgé pour cela. Comme le dit Rose, il y a tant de jeunes qui sont vieux et qui ne le savent pas… Comme je le dis souvent avec une pointe d’humour, la sagesse est bien plus une question de kilométrage que d’âge, même si l’âge a aussi ses enseignements.

Rose dans son grand âge est devenu réellement adulte au sens psychologique, c’est-à-dire qu’elle s’est parentalisé elle-même. Pour cela, elle a probablement réalisé au fil de son chemin de vie, le procès à charge et à décharge de ses propres parents et éducateurs. Qu’entends-je par là ? Elle a pu se libérer des autorités « divines » extérieures que sont les archétypes de Maman et Papa en en constatant toutes les erreurs et les blessures, et ses adorations et détestations d’enfant résultantes (procès à charge). Elle a probablement pu également découvrir par son chemin de vie, en devenant mère elle même, l’immense angoisse de ne pas être à la hauteur et le grand sentiment de responsabilité que peut ressentir une mère à qui l’ont met son nouveau né dans les bras. Prenant conscience de ce que ses propres parents on pu vivre eux aussi par le passé en l’accueillant, elle a probablement pu mesurer qu’être parent n’est pas être un dieu, et ainsi relativiser les erreurs dont elle aurait pu souffrir dans son enfance (procès à décharge). Un grand sentiment d’humilité devrait survenir dans le cœur de chaque parent accueillant son enfant… Ayant ainsi pu se libérer des autorités extérieures pour se construire une juste autorité intérieure (une fonction paternelle et maternelle adéquates et aimantes vis-à-vis de sa petite fille intérieure), on peut imaginer qu’elle a pu ainsi apprécier avec une juste évaluation (et non plus un jugement) l’homme et la femme qu’on été ses parents, avec leurs qualités et leurs défauts et se sentir totalement libre vis-à-vis d’eux dans ses choix de vie. Elle a probablement ainsi pu trouver au fil de l’âge son propre sens (sa propre résilience en terme plus technique), sa propre identité,  et utiliser créativement le temps qui lui restait imparti au lieu de ne plus vivre que de passé, tandis que sa santé lui permettait encore d’apprendre et de continuer à grandir, et à probablement faire grandir ce sens en elle et autour d’elle.

Rose nous donne donc l’exemple de quelqu’un qui a choisit de grandir et de devenir son propre parent faisant ainsi écho à Françoise Dolto :

« On ne naît pas parent, on le devient. »

Et qui donc mieux que nos enfants, ou le rapport que nous entretenons avec le monde de l’enfance au sens large, peut nous mener à cela ? En effet, nos enfants, élevés et éduqués par nos soins, tissent leur histoire et leur neurologie en miroir de nous même et de la façon dont nous les parentalisons, avec tous les phénomènes conscients et inconscients qui se déroulent tout au long de ce processus complexe. Au fil des âges qu’ils vont traverser, tel des diapasons tentant de s’accorder pour être aimé, et se désaccorder pour se différencier et exister, ils nous renverront en sympathie ou en allergie à notre propre histoire et à notre propre construction psychoaffective depuis notre enfance. Eduquer un enfant, le parentaliser, nous renvoie donc, consciemment ou non, à notre propre enfance et à  y reprendre dans notre propre histoire et notre propre cerveau les « programmes mémoire » que nous y avons laissé en cours de route, insuffisamment développés,  pour les éduquer et les re-parentaliser. Tout ce que nous ne faisons pas pour nous occuper avec sagesse et amour inconditionnel de notre enfant intérieur, au-delà des griefs retenus contre nos parents, nous le donnons à porter à d’autres, conjoints et enfants y compris !

Or les enfants sont redoutables dans ce qu’ils renvoient à leurs parents dans la mesure ou ils vont être des caisses de résonnance de leurs failles ou de leurs protubérances narcissiques (qui cachent elles aussi des failles…). Leurs enfants les ramènent à l’essentiel : Comment s’occupent-ils d’être des bons parents pour eux-mêmes et chérir la vie en eux…? Comme dit l’adage : « on n’emmène pas l’autre plus loin que l’on est allé soi même. »

Ceci illustre bien que l’éducation d’un enfant ou d’un adolescent n’est pas unidirectionnelle et que les parents continuent leur propre éducation intérieure au travers de leurs rôles parentaux. En nous hissant à la capacité éducative pour apprendre à nos enfants à pouvoir s’épanouir dans un monde (qui, je ne le soulignerais jamais assez, sera radicalement différent de celui du passé), nous devons nous même, à travers le retour qu’ils nous font, poursuivre notre propre éducation pour devenir des parents à la hauteur de nos responsabilités. Cela veut dire quoi ? Ne rien attendre de son enfant pour nous même et être prêt à lui donner tout ce dont il aura besoin (autorisations et limites) pour pouvoir faire face à ce nouveau monde de façon créative et adaptée. Or, en tant que parent, je ne peux donner que ce que je me donne à moi-même. Sinon, ce que je fais ou dit à la surface, sert en fait à nourrir des buts inconscients de pouvoir ou de manipulation affective qui ne concerne que moi, et qui vont entraver le développement sain de mon enfant. Si je me rends dépendant dans mes comportements et attitudes des manifestations d’amour ou de haine de mon enfant, c’est nécessairement que je remets en jeu ma propre enfance. Au lieu de me soutenir de mon propre regard sur moi-même, (en m’accordant amour inconditionnel et tolérance malgré mes multiples erreurs) regard/support essentiel de mon estime et de ma confiance en moi que je dois m’efforcer de lui enseigner, je me rends dépendant de son regard d’amour ou de colère qui va influencer mes conduites éducatives.  Je rejoue avec lui ma propre dépendance à mes parents dans le « qui je suis dans le regard/désir d’autrui » en fonction de ce que je donne à voir, comme quand j’étais enfant et que je pensais que l’on m’aimait ou que l’on ne m’aimait pas en fonction de mes comportements et attitudes, mélangeant l’être en développement que j’étais et mes comportements. Ce regard sur moi, projeté à l’extérieur dans le regard de mon enfant n’est pas objectif. Il est celui que je fantasme, issu de partie de mon enfance insuffisamment intégrées et durant lesquelles j’ai pensé qu’il y avait des conditions pour être aimé (complexe Oedipien en langage psychanalytique ou Triangle Dramatique en langage Analyse Transactionnelle pour ceux qui souhaitent investiguer plus loin ces sujets). Le mélange du regard de mon enfant sur moi avec celui que je transporte depuis mon enfance, peut me faire me ressentir coupable et penser, par exemple, que je suis un mauvais père si mon enfant manifeste de la colère parce que je lui interdis de jouer à des jeux vidéos toute la nuit. Inversement, il peut me faire penser que je suis un bon père parce qu’il me trouve sympa de le laisser sortir à 15 ans en boite de nuit. En résumé, cela revient à demander à mon enfant implicitement  de valider la justesse de mon rôle de père selon que mon comportement ou mon attitude lui sont agréables ou non. L’autoritarisme excessif visant à l’obéissance soumise n’est que la facette inverse de cette autorité laxiste et signe également des mélanges et confusions dans la personnalité du parent.

L’enfant est incompétent pour apprécier les règles et permissions que le parent doit lui enseigner ainsi que les comportements à avoir selon les contextes. Il est de la responsabilité des parents de valider ou non ses comportements en s’efforçant de ne jamais les amalgamer à son identité. En effet, alors que les comportements sont multiples et peuvent être modifiés, l’identité est unique et jamais rien de non aimant ou de conditionnel ne devrait y être attaché du genre : tu as pris une mauvaise note en math, tu es nul… tu es bien si… Dans la même logique, tout mélange entre les comportements et les attitudes liés aux rôles parentaux (frustrants et permissifs) avec des manipulations plus ou moins conscientes issues d’éléments de l’enfance non intégrés chez les parents, engendrent une conditionnalité dans l’amour: je t’aime si tu joue le rôle de l’enfant que je veux que tu sois, je ne t’aime pas si tu ne le joue pas…

Aime ton prochain comme toi même disent les textes sacrés de toutes les sagesses anciennes! Ce à quoi répliquait avec humour l’un de mes professeurs : Non, pitié !

L’enseignement magnifique (mais redoutable !) que les parents en développement peuvent recevoir à travers l’acquisition consciente des bonnes conduites éducatives de  leurs enfants au fils des aléas et multiples expériences de la vie familiale, est donc essentiellement celui de l’amour inconditionnel de soi et de l’autre, l’un n’allant pas sans l’autre. C’est une attitude intérieure choisit, consciente et volontaire qui donne corps à un juste comportement et à une juste communication extérieure empreinte d’assertivité : ni hérisson, ni paillasson. La communication joue donc un rôle essentiel pour cela et elle s’apprend, comme nous l’avons déjà largement souligné dans l’article « parler n’est pas communiquer ».

L’amour inconditionnel et l’individuation (à ne pas confondre avec sa dérive, l’individualisme) trouvent tout leur sens dans les épreuves de l’existence et à la fin du chemin. En effet, la  mort ne répond pas aux plaintes, ni aux sacrifices rédempteurs de surface, ni n’admet de condition de velléité ou de puissance. Sans condition ni transaction, elle nous renvoie au chemin accompli, de l’égoïsme inconditionnel du tout petit, à la conquête de l’amour inconditionnel de soi et des autres au fil du chemin, et donc au sens profond de notre identité et de notre présence au monde.   Eduquer des enfants en est une des voies en continuant à s’éduquer soit même. Rose en est un bel exemple… mais c’est un autre sujet qui dépasse le cadre du présent entretien et qui fera probablement l’objet d’un de nos sujets prochains.

Dans le prochain  numéro, nous nous proposons de poursuivre dans la continuité de cet entretien et de la thématique « éduquer n’est pas élever » en nous interrogeant sur ce que peut impliquer être un bon parent dans la société d’aujourd’hui.

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