La normose (partie 2)

Article publié dans le numéro 8 du magazine Lavida

La normose (partie 2)

Goethe

Bonjour Guillaume. Dans le précédent numéro (Lavida n°7 1), vous nous avez fait découvrir le concept de « normose » et j’ai appris que j’étais « normosée», atteinte de « normose » ! 🙂.  Vous m’avez tout de suite rassuré en me disant que malgré votre métier, vous l’étiez aussi. 🙂. Vous avez fini en disant que dans le présent numéro, nous parlerions des différents types de normoses et de normosés.  Je suis maintenant curieuse de savoir de quel type de normose je suis atteinte ! 🙂

Bonjour Christine. Oui, en effet, nous sommes grosso modo tous plus ou moins pris dans la normose. Je vous rassure encore plus en vous précisant d’emblée que se savoir normosé est déjà en soi un pas important vers moins de normose, ce qui n’est pas le cas de toutes ces maladies chroniques qui finissent par « -ose ». Compte tenu de l’ampleur du thème, nous commencerons à le traiter dans le présent numéro et nous le poursuivrons dans le suivant voire au-delà. Tout en commençant à caractériser plus avant ces différents types, je vais repréciser un peu de quoi il était question dans notre précédent échange pour nos nouveaux lecteurs afin qu’ils puissent raccrocher les wagons et suivre le fil. En résumé donc :

La  « normose » est en quelque sorte une « maladie » qui n’en est pas vraiment une car nous en sommes presque tous atteints. En effet, la maladie étant définie comme un écart à la norme de ce que l’on appelle la santé, on ne peut pas dire que la normose en est une du fait que la majorité d’entre nous, vivant dans ce même « mal normal », ce « malheur ordinaire », ne peuvent pas s’en rendre compte. La normose est donc un rapport pathologique à la norme qui n’est pas défini comme tel car une grande majorité vit dedans. Pour employer une métaphore, c’est un peu comme si tout le monde avait la migraine, mais que n’ayant pas l’expérience de la non-migraine, cela était perçu comme normal (normose standard NS). Certains « mutants » (normosés partiels)  prennent plus ou moins conscience de cette souffrance migraineuse (normose partielle débutante NPD, moyenne NPM ou avancée NPA) et tentent de s’en « guérir » petit à petit. Très rarement quelques un s’en libèrent complètement  (Etat de libération EL). Les « mutants » (NP) voient les autres (NS) enfermés dans l’ignorance et l’inconscience de leur migraine qui est désormais devenue pour eux une véritable maladie du fait de leurs prises de conscience. Les migraineux (NS) leur apparaissent alors vivre dans une espèce de « folie normale » à ne pas s’en rendre compte. Ils (NP) auraient probablement envie de leur décrire qu’il existe un état de prise de conscience de la migraine, voire un état ou elle disparait totalement, mais les autres (NS), n’en ayant jamais eu la perception, auraient du mal à le comprendre, voire les prendraient pour des doux dingues plus ou moins inquiétants.

Un grand nombre de lecteurs probablement connaissent le film Matrix  qui est également une excellente métaphore décrivant le chemin de la NS vers L’EL via les stades de la NP, de Mr Anderson à Néo. Le choix des noms Anderson (impersonnel, autre fils en allemand) et Néo (Noé, le nouveau, le un, l’unique, l’élu) expriment d’ailleurs bien la normose d’un coté, l’état libéré de l’autre.

Dans un registre plus technique Le grand psychiatre Carl Gustav Jung caractérise également le passage de la normose standard (migraine inconsciente) à la névrose partielle (migraine consciente en voie de guérison) de la façon suivante :

«  L’homme normal est la mesure idéale pour ceux qui échouent dans la vie, pour tous ceux qui sont encore au-dessous du niveau général d’adaptation; mais pour ceux qui ont des possibilités bien supérieures à l’homme moyen, l’idée, la pensée restrictive, d’être seulement normaux constitue une torture […], un ennui insupportable, un enfer sans espérance.  »

Dit autrement, le refuge de l’un dans « l’homme normal », le normosé standard, son besoin de fusion/assimilation/identification/normalisation à cette norme, est l’enfer de l’autre dans son processus de différenciation /individuation/ singularisation/ «originalisation ».

Enfin, lors de notre dernier entretien, j’avais précisé que la définition de la normose que nous adopterions au fil de notre échange sur le sujet serait celle du psychiatre suisse Ferdinand Wulliemier :

La normose traduit un développement incomplet de l’être humain qui se manifeste par un ensemble de comportements, d’habitudes et d’attitudes repérables, associé à un sentiment de malaise ou « malheur ordinaire », le plus souvent masqué  par des activités compensatoires utilisées pour faire diversion. En conséquence, le malaise n’est pas reconnu comme problématique : il est généralement ignoré ou tout au plus considéré comme « normal ». La normose affecte, à des degrés divers, un large pourcentage de la population dans le monde.

Précisons qu’il n’est pas question d’enfermer quiconque dans ces profils types et rappelons-nous que nous sommes tous plus ou moins normosés à un niveau ou un autre. C’est normal ! :).  Il est donc probable que nous trouvions certains traits de normose plus ou moins marqués dans notre propre psychologie. Là aussi, il ne faut pas s’inquiéter, c’est normal ! :). Au contraire même, la prise de conscience de certains de nos modes de fonctionnement va dans le sens de se libérer de la normose et est en soi déjà un processus libératoire. J’invite donc vos lecteurs à méditer les points qui pourraient les interpeller dans leurs propres modes de fonctionnement, ou leur rappeler certaines personnalités de leur entourage personnel ou professionnel. La prise de conscience est le premier pas vers la « guérison ».

Guillaume, avant d’aller plus loin, une réflexion me vient à l’esprit. Les normes viennent bien de quelque part. Quels impacts ont nos sociétés et donc nos cultures sur le « profil et l’évolution normotique » des uns et des autres ? Si nous sommes tous plus ou moins normosés, cela n’implique t’il pas que nos sociétés et les cultures dans lesquelles nous vivons le soient aussi ? Et en ce cas, les évolutions culturelles de nos sociétés actuelles sont t’elles réellement des évolutions allant dans le sens de l’allègement de la normose des individus ?

Vous soulevez en effet là des points fondamentaux à garder à l’esprit. En effet, si nous sommes normosés, nos sociétés et nos civilisations le sont aussi, et cela se manifeste donc au niveau sociétal à de multiples niveaux : dans les couples, les familles, les relations professionnelles, les loisirs, les milieux économiques et financiers, la politique, les croyances religieuses, la santé publique, (notamment la gestion du vieillissement et de la mort). Pour exemple, nous pourrions citer l’injustice de la différence de traitement salarial des femmes à compétences égales qui persiste encore dans notre société. C’est a-normal objectivement parlant, mais c’est la preuve qu’il existe une norme implicite agissante, un stéréotype culturel sur les femmes, qui a encore une influence, et qui signe une « maladie de la norme »,  une normose de la société elle-même dans son fonctionnement réel. D’ailleurs, les stéréotypes culturels (les gros sont gentils, les barbus sont des terroristes…), qui sont toujours des généralisations basées sur quelques traits d’apparence, ont beaucoup à voir avec la normose en ce sens qu’ils représentent des normes subjectives culturellement programmées (plus ou moins conscientes) et dont les généralisations réductrices ne résistent pas à une réelle réflexion objective. Prendre conscience de ces stéréotypes et identifier ces mécanismes psychologiques culturellement programmés (et nous en avons plusieurs couches plus ou moins conscientes) est déjà en soi un pas important vers l’allègement de sa propre normose. Les outils de communication (Programmation Neurolinguistique, Analyse transactionnelle..) sont forts utiles en cela. En effet, ils permettent de prendre conscience des façons adéquates (ou non !) avec lesquelles nous codons et construisons les phrases que nous pensons et que nous exprimons

Concernant votre question sur l’évolution de la normose des sociétés en rapport avec celle des individus, il faut avoir à l’esprit que, tant pour les unes que pour les autres, les changements se font souvent par mode oscillant comme un balancier. Nous sommes par exemple passés de sociétés aux cultures rigides, culpabilisatrices et réprimées en termes d’émotions et de sexualité au 19ème siècle, à des modes culturels qui pourraient apparaitre en sens inverse tout aussi excessivement permissifs  dans l’époque actuelle. En voulant réduire les instances  moralisatrices de la personnalité (ce que l’on appelle le Surmoi en psychologie), qui à l’excès, sont culpabilisatrices et sources de névroses, on a ouvert grandement la porte à ce qu’on pourrait appeler le sous-moi, c’est-à-dire les parties pulsionnelles et animales voire perverses. De la sexualité imprimée de morale religieuse on est passé à la sexualité-loisir et produit de consommation. Quelques clics sur internet suffisent à s’en convaincre. Ce passage en balancier d’une norme culturelle à une autre, ou la norme morale de sacrifice de soi est remplacée par la norme du marché et de l’affirmation de soi, laissant ainsi libre court à la compétition pour la jouissance, est t’il signe d’un allègement de la normose collective et individuelle (de la NS vers la NP), ou est t’il seulement la bascule d’une normose à une autre (restant dans la NS), voire une régression (vers la NA) ? Est-ce une évolution de passer de la normose névrotique frustrée à la normose perverse « no limit »? Toute tentative de réponse à ces questions est forcément relative et dépend de la fenêtre de temps avec laquelle on observe les périodes de nos vies ou de nos sociétés. Nous avons tous connu des moments difficiles de déprime, de souffrance, ou d’excès, qui nous ont obligé à trouver des moyens de les gérer, moyens qui se sont avérés salutaires par le futur, tant pour nos capacités à faire face que pour le développement de nos compétences au bonheur. « C’est l’avenir qui guérit le passé ». Il en est de même des sociétés. En effet, individuellement et collectivement, tout processus d’évolution intègre des phases de régression et des moments de crise nécessaire à l’évolution ultérieure. Prendre conscience et s’instruire de ces phénomènes de société et de leur analogie avec nos modes de fonctionnement individuel est en soi également favorable à alléger notre normose. Cela nous permet en effet de conscientiser le caractère transitoire et relatif des normes sur lesquelles nous même et les sociétés se sont construits, d’en comprendre les mécanismes conjoints, d’en apprécier les avantages et les inconvénients au quotidien, tout en nous resituant dans un temps plus vaste, au dessus des instants et périodes plus ou moins agréable de nos vies. Pour travailler cette compréhension des lois des changements individuels et collectifs, j’apprécie particulièrement les modèles de la Spirale Dynamique 2 et de l’Approche Intégrale que j’utilise au quotidien dans ma pratique de psychologue et que j’enseigne en formation. Je recommande très vivement la lecture des deux  ouvrages de référence sur le sujet pour ceux qui veulent avancer dans leur processus d’allègement de leur normose.

Oui, en effet. Je connais peu encore le modèle de l’Approche Intégrale. En revanche, j’ai pu découvrir la Spirale Dynamique et il est vrai que cela a été une (r)évolution dans ma manière de voir et de vivre les évènements de ma vie personnelle et professionnelle. Je commence d’ailleurs à voir les liens entre le modèle de la Spirale Dynamique et le concept de normose, c’est très intéressant. A quand un article sur la Spirale Dynamique pour nos lecteurs ? 

C’est une bonne idée, nous allons l’envisager pour un prochain numéro. En attendant, commençons à détailler les différents types de normoses.

On peut « classifier » la normose en terme de formes – agressives NSA, passive NSP et mixte NSM – et de degrés – standard NS, partielle NP ou aggravée NA. Nous avons donc du plus normosé au moins normosé :

  • La normose standard NS avec trois sous types :
    • o La forme active, bruyante et agressive de la NS
    • o La forme passive ou discrète de la NS
    • o La forme mixte NSM qui combien les 2 précédentes
  • La  normose aggravée NA qui est un versant aggravé des formes standards
  • La normose partielles NP (ou allégée)
    • o La normose partielle débutante NPD
    • o La normose partielle moyenne NPM
    • o La normose partielle avancée NPA
  • L’état de libération EL

Introduisons maintenant la normose standard NS que nous développerons plus dans le prochain numéro. Là aussi, je suivrai le travail de Ferdinand Wuilliemier qui a, de mon point de vue, le mieux conceptualisé la normose jusqu’à présent. Je recommande d’ailleurs vivement à vous lecteurs la lecture de son excellent livre 4 qui traite ce sujet plus loin que nous ne pouvons le faire dans le cadre du présent magazine. Ferdinand Wuilliemier a identifié seize éléments caractéristiques du fonctionnement du normosé standard. Il est probable que des développements ultérieurs permettront de compléter le tableau.  Avant tout, rappelons que la NS constitue le noyau dur de la normose, ce qui rend sa description quelque peu caricaturale et peut nous amener à penser qu’elle ne vous concerne pas. Très probablement, beaucoup des lecteurs qui ont poursuivi la lecture jusqu’ici sont déjà dans la NP. Il n’empêche qu’un certain nombre de traits peuvent les interpeller sur leur mode de fonctionnement ou sur les caractéristiques « normotiques » de certaines connaissances personnelles ou professionnelles.

  1. Etre normosé veut dire avant tout se fier principalement aux messages en provenance de nos cinq sens, de nos émotions, de nos désirs et de nos raisonnements intellectuels, points que nous allons détailler
    • Concernant nos cinq sens, nous avons ainsi tendance à croire à tout ce que nous percevons par leur intermédiaire,  en oubliant combien ils sont des filtres qui réduisent considérablement notre champ d’exploration de la réalité dite extérieure. L’on sous estime bien souvent l’influence  de ces filtres dans nos perceptions. Ils sont multiples : biologiques (daltonisme par exemple), socioculturels (les Inuits ont onze mots pour décrire des qualités de neige différentes, les français au moins autant pour un verre de Bordeaux 🙂 ),  personnels (je n’aurai probablement pas le même regard sur le monde selon si je passe mes soirées à regarder en boucle certains médias d’information où si je préfère regarder une émission sur l’histoire de l’évolution et la chute des dinosaures 🙂 ). Cela nous amène à survaloriser l’apparence des choses et des êtres. Nous avons ainsi tendance à nous limiter et à survaloriser  cette réalité extérieure, matérielle et objective, c’est-à-dire centrée sur les objets. Les dimensions intérieures et subjectives sont beaucoup moins investies, voire négligée en tant que source de compréhension de nous-mêmes, des autres et de la vie :

Nous privilégions et nous nous aliénons au monde quantitatif objectivable au détriment du monde qualitatif et subjectif. 

  • Nous accordons beaucoup de valeur et d’importance à nos émotions qui colorent intensément notre vie quotidienne, en particulier lors de nos interactions avec autrui et notre environnement. Notre monde de normosé est profondément contrasté entre ce que nous percevons comme agréable et qui conduit notre désir (joyeux, attirant, plaisant, jouissif…) et désagréable (tristesse, culpabilité, honte…). Cela a tendance à nous mettre dans des mécanismes compulsifs de recherche du plaisir au niveau physique et émotionnel – situations que nous qualifions de positives –   et à nous faire éviter les affects dits désagréables – que nous qualifions de négatif. Or positif et négatif sont des jugements intellectuels réductifs sur les émotions et non des qualités affectives justement ressenties et appréhendées. Tout ce qui est agréable n’est pas positif et inversement, quand l’on y réfléchit objectivement en intégrant le temps et le devenir. Il arrive fréquemment que ce qui fut plaisant à un moment cause finalement du mal ultérieurement, et à l’inverse, que des difficultés et des frustrations soient causes de joies et de bonheur futurs. Les émotions n’ont donc pas pour fonction primaire le plaisir de l’homme. Elles étaient là bien avant dans le monde animal et ont des rôles qui utilisent justement leur caractère agréable et désagréable pour informer l’être qui les vit : la peur informe du danger, la colère nous met en situation de lutter, la tristesse nous aide à intégrer nos pertes, la joie nous sert à renforcer une activité utile à notre survie. L’animal les vit dans leur nature originelle, selon les normes implicites élaborées par l’évolution. L’être humain, du fait de sa capacité à penser et à accéder à la culture dépasse cette condition. Dans les meilleurs cas, il peut accéder à des modes de conscience lui permettant d’accéder à des lois sur l’univers et la conscience. Ces modes d’être proprement humain dépassent la condition animale et ont à voir avec le Bon, le Beau et le Vrai, « sentiments supérieurs » propres à l’homme libéré de son assujettissement aux lois émotionnelles telles que les vit l’animal. Les ressentis d’Albert Einstein lors de la découverte de son E=mc2, ou de Bouddha vivant son éveil sont des états de conscience et des ressentis émotionnels probablement très étrangers au monde animal et sont donc d’une nature irréductible au fonctionnement émotionnel de ce dernier. Accéder à ces niveaux là implique cependant de ne pas garder la pensée et les motivations collées dans un rapport addictif et quantitatif aux émotions telle une drogue. De fait, de tels modes de conscience sont impossibles à l’homme normosé standard qui, vivant une mauvaise lecture de ses émotions, vit dans une conscience en quelque sorte falsifiée, coincé entre l’animal qui vit les vit selon leur véritable nature et l’homme normosé partiel qui a déjà commencé à se libérer de ce vécu « falsifié ». Le normosé standard se réfère à une mauvaise norme émotionnelle. Cela est somme toute normal dans nos cultures, profondément normosées elles mêmes. Il n’y a qu’à voir les souffrances et les dépenses que s’imposent certaines jeunes filles pour vouloir ressembler aux standards des “bimbos” photoshopées et siliconées des magazines. Quand ces désirs compulsifs deviennent anormaux au sens de maladie, on entre dans le champ de la névrose et de la psychopathologie classique. Il y a cependant tellement de compulsions « normotiques », en ce sens qu’elles ne sont pas reconnues comme des attitudes pathologiques dans la norme globale : Facebook, l’internet, les séries tv, le travail, le sport…toutes ces activités qui ne sont pas un mal en soi, mais qui, vécues de façon normotique, cachent souvent un vide, une besoin de remplir l’ennui et le « malheur ordinaire » et l’absence d’un sens existentiel plus profond. Ce rapport aux émotions du normosé standard peut évoluer dans un second temps chez un certain nombre et se présenter d’une autre façon. La cause en est que les vécus émotionnels intenses, même dans les situations plaisantes, représentent un stress constant pour l’organisme. Le sujet normosé peut alors vivre de façon désagréable l’intensité émotionnelle elle-même. En ce cas, il se sent mieux en réprimant ou en isolant ses émotions afin de réguler de telles fluctuations vécues comme pénibles. Cette mise en place d’une carapace défensive secondaire peut donner l’illusion d’un contrôle et d’une maturité dans la gestion émotionnelle, voire d’une certaine froideur ou indifférence. Le normosé lui même peut se percevoir comme peu émotif et en capacité de gérer ses émotions. C’est alors bien souvent le corps qui à un moment ou un autre, d’une façon ou d’une autre (mal au dos, problèmes gastriques, migraines, fatigue chronique, maladies diverses plus ou moins graves) exprimera cette « mauvaise gestion » des émotions (Le cerveau est un organe du corps et il va de soi que ce qui s’y passe affecte directement le corps). « Une crise du corps » peut d’ailleurs être l’occasion de s’alléger un peu de normose en s’interrogeant sur notre façon de vivre et le sens de nos symptômes, mais aussi nous lancer dans la normose du bien-être, dont certains laboratoires pharmaceutiques ou professionnels de la santé et du développement personnel peu scrupuleux se sont emparés.

Le normosé va donc s’entêter à espérer que le monde devienne le plus agréable possible par la recherche de satisfactions diverses. C’est le cas par exemple du bonheur lié au confort matériel, ou de l’attente romantique et illusoire du bonheur conjugal des contes de fées par exemple.  Prenant les normes intellectuelles de sa quête du bonheur dans la culture qui elle-même est profondément normosée, et mus par ses émotions et ses désirs, le normosé est persuadé que certaines choses, personnes ou activités vont lui apporter la paix ou la joie malgré les démentis que la réalité lui signifie au fil du chemin. Un malaise s’installe alors chez le normosé standard, plus souvent même qu’une souffrance ressentie, malaise qu’il tentera de compenser par des plaisirs compensateurs. Cette quête illusoire d’activité compensatrice peut aller de pair avec celle visant à s’assurer un minimum de devoir et un maximum de droit, maximiser le principe de plaisir et limiter au maximum le principe de réalité. On retrouve cela également au niveau collectif  dans le fonctionnement de certains lobbies dont la seule raison d’être est d’obtenir le maximum d’avantage et le minimum de responsabilité pour leurs membres ayant déjà grandement accumulé.

  • Le normosé standard accorde également une grande importance à ses connaissances et ses raisonnements intellectuels, sur qu’il est que la réalité est telle qu’il la conçoit par ses constructions mentales ou celles d’une « science »  basée sur une vision réduite et uniquement matérialiste de la réalité (il peut en être de même vis-à-vis de la religion). Il ne fait pas la différence entre la carte et le territoire, entre la théorie et l’expérience directe, entre la lettre et l’esprit, entre la forme et la structure. De plus, comme il pense qu’en accumulant des quantités de connaissances sur tel ou tel chose, il pourra mieux la posséder ou la contrôler, il tend à en accumuler davantage pour renforcer encore son contrôle et obtenir la sécurité illusoire qu’il recherche plus ou moins consciemment.
  • Enfin, pour conclure ce premier point sur les caractéristiques de la normose standard, mentionnons que le normosé à toujours l’esprit vagabond, Il juge, il code à la volée avec ses stéréotypes culturels, il scénarise  avec une activité incessante et répétitives ses relations sur la base d’un film dont il est soit le vainqueur, soit le héros, soit la victime. On retrouve fortement dans sa psychologie le fameux triangle dramatique de Karpmann: Persécuteur, Sauveteur, Victime. Le normosé standard n’est pas conscient de cette activité de la « pensée sans repos », d’autant plus qu’il pense que cela est normal, naturel et automatique. Moulinant sans cesse, il est en réalité incapable de penser volontairement à une seule et même chose plus d’une minute entière, tout en étant persuadé qu’il est l’auteur et le maitre de ses pensées. Il croit faire de l’introspection parfois alors qu’il en est en réalité incapable.

Je commence à mieux comprendre pourquoi vous avez cité le film Matrix comme métaphore et ce « malheur inconscient » qui caractérise la normose. C’est ce malaise que Néo ressent au début du film alors qu’il se croit encore Mr Anderson. Je trouve plutôt étouffant cette description de ces premières caractéristiques de la normose standard. C’est un peu comme si le normosé standard était mort-vivant, au sens mort en terme de vie intérieure, ou en tout cas comme s’il vivait une espèce de vie illusoire et automatique, tout en étant vivant physiquement.

Oui, en effet. Il serait probablement plus juste de dire d’une certaine façon qu’il n’est pas encore né psychiquement. Quelque part, aucune de ses pensées ne lui appartiennent, ce sont donc des mémoires, des pensées mortes. Il n’est pas encore allé des personnalités à la personne en lui, à une identité réelle avec laquelle il puisse avoir des pensées réellement créatives et originales qui n’aient aucune autre référence que lui-même. Ce n’est clairement pas avec le mode de fonctionnement du normosé standard qu’Einstein a trouvé son équation. Bien au contraire, il a du s’avancer dans une pensée nouvelle en se dégageant de la vision Newtonienne classique, vision qui constitue encore la norme pour beaucoup encore aujourd’hui.

Enfin, votre réaction est un bon signe que vous êtes déjà dans la normose partielle, le normosé standard ne vit pas cela avec cette conscience,  tant qu’il ne s’éveille pas intérieurement au caractère insupportable de ce flux constant de pensées mécaniques. Le premier signe de liberté, c’est de voir la prison, réveil douloureux bien souvent, mais salutaire comme cela se passe pour le personnage de Néo dans le film Matrix. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le prochain numéro après avoir décrit les autres signes de la normose standard.

Je profite de la conclusion du présent entretien sur ce thème encore peu connu pour vous remercier chère Christine de ces échanges que nous espérons les moins normosés possibles à l’intention de vos lecteurs. Vous œuvrez à cela par le ton original et le choix éditorial que vous souhaitez donner à votre revue à l’attention des habitants de la région de Montpellier. Je m’y efforce également avec plaisir, en abordant ce thème complexe que je souhaite faire connaitre à vos lecteurs qui se seront donné la peine de lire notre présent échange jusqu’au bout. Simplifier ces sujets pour les rendre abordables est un vrai casse tête, mais j’espère que si la lecture donnent quelques maux de têtes à certains, c’est une saine migraine que nous partagerons ensemble. 🙂

 

1 : http://lavida-magazine.com/, et https://metaphorm.fr/blog/

2 : « La normose, peut-on s’en libérer ? » Ferdinand Wulliemier. Editions Recto Verseau

3 : « La Spirale Dynamique » Fabien Chabreuil.  Interéditions

4 : « Une brève histoire de tout » Ken Wilber, Edition de Mortagne

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