Eduquer n’est pas elever (partie 5)
Article publié dans le numéro 6 du magazine Lavida
Eduquer n’est pas élever (partie 5)
Bonjour Guillaume. Nous arrivons aux termes de notre série d’entretiens sur la thématique « éduquer n’est pas élever ». Au fil de nos échanges dans les numéros précédents vous avez souhaité inviter nos lecteurs à ouvrir leur champs de réflexions sur ce qu’implique la parentalité dans notre époque d’aujourd’hui. Pour ce faire, vous avez évoqué différents points amenant à réévaluer et recontextualiser cette parentalité à l’aune des grands changements de notre époque: élever le corps/éduquer l’esprit, développement des sciences, de la démographie, de la durée de vie, révolution culturelle de la fin des années 60 modifiant les liens familiaux et intergénérationnels, révolution technologique et avènement de l’ère de l’information et de l’internet dans les années 80… Vous avez particulièrement insisté sur cette idée que nos civilisations ont basculé dans le « paradigme de la complexité », que les méthodes et visions éducatives d’hier n’étaient plus adaptées aux enjeux d’aujourd’hui, et surtout au monde que nos enfants auront à gérer dans les temps qui viennent. Vous précisiez :
« Davantage que d’une nouvelle pensée, c’est d’une nouvelle conscience dont nous avons besoin. Vécue avec la conscience d’aujourd’hui, la pensée elle-même n’est plus en capacité de traiter une telle complexité. »
Et aussi
« Etre un bon parent aujourd’hui, c’est avant tout prendre conscience de cette immense complexité qui, de plus en plus, touche chacun, toutes générations confondues, et ceci tant au niveau individuel que collectif. »
Vous finissiez enfin en proposant d’évoquer dans le présent numéro quelques pistes et axes principaux de travail sur soi pour rendre plus concret ce travail de re-création de la parentalisation.
Bonjour Christine, c’est avec joie que je vous retrouve pour parler à nouveau de ce thème de l’éducation qui nous est cher ainsi qu’à vos lecteurs, et vous proposer quelques pistes de travail et d’actions plus concrètes. En effet, le contenu de nos échanges précédents a probablement remué certains parents en leur faisant mesurer l’importance des taches qui leurs incombent, que ce soit par le surcroît de responsabilité inhérent à leurs rôles dans le monde d’aujourd’hui, que par le travail nécessaire sur eux même et sur leur propre histoire, sans trop savoir comment s’y prendre.
Sans être exhaustif, je vais tenter dans le présent numéro de vous donner quelques lignes de travail et de développement personnel pour se donner les moyens de mieux remplir sa tache de parent (et aussi en retirer plus de plaisir , d’amour et de joie !). Plusieurs voies sont bien entendues possibles, je vous ferai part de celles qui me semblent les plus pertinentes de par mon expérience.
Je pourrai résumer l’idée directrice de cette démarche d’être un meilleur parent en rappelant le fameux Oracle de Delphes:
« Connais toi toi-même et tu connaitras les mondes et les cieux »
Que je complèterai pour l’intérêt de notre thème en ajoutant : « et tu sauras mieux éduquer tes enfants, pour le meilleur bénéfice de la poursuite de ta propre éducation intérieure et de la leur ». 🙂
En effet, j’ai précisé dans les articles précédents, que l’on devient un parent d’autant plus « juste » et étayant que l’on se parentalise soi même, c’est-à-dire que l’on est capable de revisiter sa propre histoire, en rendant instructives et créatives les joies et les peines qui ont jalonné notre propre chemin de croissance.
Pour ce faire, et pour faire écho à nos entretiens précédents, la première chose qui me semble importante pour un parent qui veut mieux se donner les moyens de remplir son rôle, est d’avoir un minimum de connaissance en psychologie et en communication. C’est la dimension du Savoir:
- Comment l’être humain fonctionne et comment évolue t’il au fil des étapes de la vie dans ses différents contextes existentiels?
- Qu’est ce que la communication et comment se donner les moyens de mieux communiquer ? (magazine Lavida n°1)
J’ai déjà précisé dans nos entretiens précédents combien, en tant que professionnel, il est étonnant de constater qu’il n’y a aucun enseignement, même de base, à ces disciplines dans les cursus d’étude généraux, ce qui est un signe inquiétant de la dérive matérialiste et scientiste de nos sociétés. J’ai largement souligné combien cela est un déni collectif (qui a ses raisons historiques… ce n’est pas une raison pour en rester là !) et combien il est important d’ouvrir les yeux sur cette abolition quasiment pure et simple des dimensions psychologiques et spirituelles, si l’on veut pouvoir faire face aux enjeux éducatifs du monde d’aujourd’hui. Je recite Albert Einstein qui soulevait l’importance et la nécessité de grandir dans nos pensées et dans notre conscience, compte tenu du développement de nos sciences :
« Notre monde est menacé par une crise dont l’ampleur semble échapper à ceux qui ont le pouvoir de prendre de grandes décisions pour le bien ou pour le mal. La puissance déchaînée de l’homme a tout changé, sauf nos modes de pensée, et nous glissons vers une catastrophe sans précédent. Une nouvelle façon de penser est essentielle si l’humanité veut vivre. Détourner cette menace est le problème le plus urgent de notre temps. »
Un socle de connaissance de base en psychologie et en communication est tout aussi important que savoir compter, se servir d’un ordinateur ou savoir réparer un tuyau percé. Tant de souffrances, de conflits et d’errances « inutiles » seraient évités… La conséquence est que beaucoup de personnes étant ignorantes dans ces disciplines, les trouvent compliqués, rébarbatives, nébuleuses et théoriques, oubliant qu’elles ont bien souvent acquis des connaissances très complexes dans d’autres domaines. Cependant, la démarche de s’ouvrir à un certain nombre de connaissances et d’expériences tout à fait abordables, permettent bien souvent de dépasser cet à priori, et de découvrir la multitude de leurs applications et de leurs éclaircissements dans la vie quotidienne et les fonctions éducatives. Il existe aujourd’hui un certain nombre d’ouvrages et d’approche de bonnes qualités rendant accessibles un large éventail de connaissances et d’outils, hors du jargon des spécialistes. Développer ses connaissances en psychologie et en communication est une façon de rééquilibrer nos vies entre le monde extérieur (les objets, la matière) et le monde intérieur (le sujet, la conscience) ainsi qu’une réharmonisation des dimensions personnelles (Je) et collectives (Nous et Eux). L’expérience quotidienne des professionnels ainsi que d’un grand nombre de personnes ayant franchi le pas de travailler un peu sur elles et de s’instruire sur ces sujets, attestent cela sans le moindre doute.
Il convient d’ajouter à cela quelques connaissances sur l’évolution des civilisations. Cela peut paraitre surprenant, mais comme je l’ai déjà souligné précédemment, les contextes civilisationnels (environnementaux, culturels et technologiques) dans lesquels nos sociétés évoluent impriment nos psychologies bien plus profondément que nous l’imaginons. Et pourtant, selon les cultures et les époques, ces contextes civilisationnels peuvent être très différents. Avoir quelques connaissances sur ces sujets permet de relativiser notre environnement, notre propre éducation, et de ne pas confondre les phénomènes liés à la culture de ceux liés à la nature. Les cultures et les modes de vision du monde changent, mais il y a des lois immuables dans l’évolution qu’il est important que l’homme s’approprie, car elles opèrent très concrètement dans sa vie. Comme je le disais dans un article précédent, c’est un grand manque de la psychologie classique de ne pas suffisamment situer le fonctionnement psychologique de l’homme dans l’évolution de la biologie et des civilisations, et d’en dégager les interactions. Pourtant, de plus en plus de travaux montrent que :
« La psychogenèse récapitule la sociogenèse »
Cela signifie que les stades psychologiques par lesquels va passer un individu au cours de son développement vont revisiter tous les stades de l’évolution précédente, de l’homme primitif à l’homme moderne (stade oral : l’homme primitif, angoisse du 8eme mois : les premiers clans, période du non-non (stade sadique-anal) : les empires guerriers, Œdipe : les religions, l’adolescence : le siècle des Lumières….)
Un outil de choix, abordable par la large majorité des gens pour travailler cette dimension du Savoir, et permettant de s’ouvrir à tout ces thèmes, est le modèle de la « Spirale Dynamique ». Vous avez-vous-même pu découvrir ce modèle dans une formation que nous proposons dans le cadre de Metaphorm (l’organisme de formation dont je suis responsable), et je crois que vous avez eu l’occasion de vérifier mes dires par votre propre expérience 🙂 . Ce modèle puissant, issu de recherches empiriques rigoureuses, explique élégamment en en dégageant des lois, comment les êtres humains, individuellement et collectivement, évoluent et changent au fil de leur vie et des siècles, en interaction avec leurs situations existentielles. Il en existe de multiples applications, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la communication.
Le second point qui m’apparait important, est de développer son Savoir-Faire. Pour cela, la pratique est essentielle et nécessaire. Elle permet d’éviter de vivre dans des abstractions, et de vérifier et d’intégrer en situation de terrain, que des façons différentes de communiquer et de traiter les informations cognitives et affectives qui nous traversent, ont réellement des efficacités toutes différentes. C’est en effet une toute autre affaire de connaitre par cœur les dialogues d’un texte quelconque par exemple, que de les jouer en les incarnant physiquement sur une scène de théâtre en souhaitant captiver un public. Là aussi, il existe des stages et des formations appliquées qui permettent d’apprendre et de mettre en pratique des outils de communications simples et efficaces. Un petit peu de travail et d’investissement personnel donne souvent des résultats surprenants. Je connais par exemple un certain nombre d’enseignants et de parents qui se sont vu redécouvrir avec plaisir et créativité leurs rôles éducatifs et pédagogiques en apprenant à communiquer différemment et d’une façon plus adaptée, alors qu’ils se sentaient auparavant totalement bloqués et désabusés. Ces outils sont issus de la PNL (Programmation Neuro Linguistique), de l’AT (Analyse transactionnelle), de la CNV (Communication non Violente), de l’Ecoute active, du théâtre…
Enfin, la troisième dimension de travail, complémentaire et inséparable des deux précédentes est celle du Savoir Etre. Elle implique ce qu’en communication on appelle « la congruence », c’est-à-dire la capacité à manifester dans mes attitudes et mes comportements une cohérence sincère avec mes dires : Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. Ces compétences requièrent une flexibilité intérieure, une attitude de non jugement et un certain niveau de connaissance de soi même, en particulier dans nos réactions affectives. Cette dimension se travaille déjà au travers du Savoir et du Savoir-Faire. Il est cependant parfois nécessaire d’aller plus loin en travaillant avec un professionnel compétent, que ce soit à titre de développement personnel, ou parfois de psychothérapie si le passé constitue vraiment un « handicap » du présent. Ce qui importe le plus dans l’appréhension de cette dimension du Savoir-Etre, c est la compréhension de comment nous nous sommes construits psycho-affectivement en tant que sujet, au fil de notre propre chemin d’enfance et d’adolescence jusqu’à aujourd’hui. Le but est de bien faire la différence entre nous et nos enfants, notre époque et la leur, nos parents et nous mêmes, et de savoir tirer partie de notre propre histoire en corrigeant notre propre éducation afin d’éviter les transferts et projections psychologiques de toute sorte. J’ai eu le plaisir à quelques occasions de recevoir des futures mamans ou papas souhaitant consulter, non parce qu’ils avaient des soucis, mais parce qu’ayant eu parfois des enfances et/ou des parents « difficiles », ils souhaitaient pouvoir se mettre au clair sur leur propre histoire et éviter ainsi de faire des confusions entre leurs histoires éducatives personnelles et celles de leurs enfants. La démarche est déjà en elle-même un bon signe de Savoir-Etre et d’humilité face à la fonction de parent. J’avais déjà évoqué cela en d’autres termes dans l’un de nos entretiens précédents quand je disais que « devenir adulte, c’est avoir fait le procès de ses propres parents à charge et à décharge » et d’éviter ainsi des jeux de répétitions inconscients dans l’accompagnement éducatif de nos enfants. Je fais remarquer au passage, qu’une enfance insouciante et agréable ne dote pas nécessairement mieux un futur parent que quelqu’un qui aurait eu une enfance « difficile ». Chaque situation est complexe et unique, et il faut se garder de généralités à ce sujet. Aller consulter pour pouvoir mieux comprendre sa propre histoire n’est donc pas réservé aux personnes qui ont vécu objectivement des difficultés (, les épreuves rendant parfois bien plus lucide et responsable que le confort et l’affection.
Donc si je résume vos propos, dans un monde qui est en train de profondément muter, vous invitez nos lecteurs à développer les dimensions du Savoir, du Savoir-Faire et du Savoir-Etre. Pour ce faire, vous leur suggérez d’acquérir des notions de psychologie (et plus particulièrement de « Spirale Dynamique »), de se former aux techniques de communication et de travailler sur l’intégration de leur propre histoire de vie. Est-ce bien cela ?
Oui, sachant que cela n’est pas exhaustif et qu’il y autant de voies qu’il y a d’êtres. C’est un sujet inépuisable ! Cependant, ces trois dimensions et ces trois axes de travail et d’évolution me semblent être les points fondamentaux. Pour clore notre série d’entretien sur l’éducation des enfants, dont j’ai essayé de montrer qu’elle ne peut être que concomitante d’une continuelle auto-éducation des parents, j’aimerais citer cette phrase qui résume un peu l’esprit dans lequel s’inscrivent les réflexions de nos échanges :
« La meilleure choses que l’on puisse faire pour soi-même et pour les autres, c’est se connaître soi-même »
Merci Guillaume. Nous nous retrouverons pour le prochain numéro de Lavida, et nous creuser une fois de plus les méninges 🙂 en essayant de savoir ce qui se cache derrière ce mot apparemment barbare: la normose.