La normose (partie 4)

Article publié dans le numéro 10 du magazine Lavida

La normose (partie 4)

Bonjour Guillaume, dans les numéros précédents 1, en vous appuyant sur les travaux de F.Wulliemier 2, vous avez souhaité faire découvrir à nos lecteurs le concept de « normose », cette « maladie » qui n’en est pas une car la très large majorité de la population en est atteinte. Si je vous ai bien compris, être normosé signifie vivre et avoir un rapport au monde et aux autres en fonction de normes que nous n’avons jamais remis en question, et qui nous semblent naturelles tant les autres et notre société vivent également sur le même mode. Vous nous avez décrit 3 grands types :

  • la normose standard (NS) pour ceux qui sont enfermés dedans sans s’en rendre compte et sans se poser de question,
  • la normose partielle (NP) pour ceux qui ont plus ou moins commencé à prendre conscience qu’ils étaient « formatés » en eux par de multiples programmes et mémoires qui leur semblaient normaux (dans la norme), mais dont ils ont commencé à mesurer les anomalies et les problèmes que ces conditionnements pouvaient éventuellement leur causer sur leur chemin de vie dans leurs rapport au monde et aux autres,
  • et enfin, l’état de libération (EL) que seuls quelques êtres humains ont atteint.

Bonjour Christine, oui, bon résumé qui témoigne à nouveau que vous n’êtes pas enfermée dans la « matrice » de la normose standard ! Le normosé standard ne prend pas le temps de s’intéresser à de tels types de connaissance qui amènent à l’introspection, il ne voit pas pourquoi certains se « prennent la tête», et ne prendrait certainement pas le temps de lire et de chercher à comprendre un tel sujet.

Dans le dernier article, vous avez décrit les 16 points qui décrivent le noyau dur de la normose standard en précisant qu’il n’est pas question d’enfermer quiconque dedans, mais de prendre conscience et de méditer sur ceux d’entre eux qui nous interpellent quand ils nous concernent ou si nous les observons autour de nous.

Oui. De plus en plus de personnes ont des difficultés grandissantes à se situer et se repérer dans un monde qui leur apparait de plus en plus « malade », alors qu’il semble tout a fait normal pour d’autres (les normosés standards), ou en tout cas ne suscite pas de questions existentielles chez eux. Le but de nos échanges sur ce thème est de sensibiliser et interpeler les lecteurs qui ont déjà mis la tête hors de la normose standard. Ceux-ci éprouvent de façon plus ou moins diffuse ce « mal-normal » infiltré dans nos sociétés et ressentent le besoin d’une vie personnelle et collective dont le sens est à réinventer, à recréer au-delà des atavismes. C’est d’ailleurs votre cas quand à  la fin de notre échange précédent, vous avez exprimé votre ressenti à l’évocation des 16 points en disant que le monde de la normose standard vous faisait l’effet d’un « monde de mort vivant ». Je vous avais répondu que cela était un signe rassurant que vous étiez dans la normose partielle et que cela vous apparaitrait encore plus nettement à la description des formes aggravées de la normose standard.

Hihi! Je suis curieuse à l’idée de ce que peut être une personnalité ou la normose standard devient elle-même … encore plus que la norme !

En fait, on peut décrire 3 sous-types de normose standard. L’active (ou agressive), la passive (ou discrète) et la mixte qui est une combinaison des deux précédentes. La normose aggravée correspond à une accentuation des traits de ces sous types. Dans ces cas, cela est plus manifeste pour la forme agressive car elle est plus visible, mais la normose passive peut aussi être aussi tout autant aggravée même si elle est présente sous une forme plus discrète. Voyons maintenant comment F.Wullimier décrit ces 3 sous types :

LA FORME ACTIVE, BRUYANTE OU AGRESSIVE DE LA NORMOSE STANDARD

Ces personnes partagent les traits de la normose standard qui viennent d’être décrits, mais de façon accentuée, voire caricaturale. Elles présentent en outre quelques traits particuliers qui les distinguent des autres normosés.

  • Il s’agit de personnes affirmées compétitives aux objectifs clairement définis, qui ne s’encombrent pas de nuances dans leur manière de s’exprimer et d’agir.
  • Pas particulièrement altruistes, considérés plutôt comme égoïstes, combatifs, avides, revendicatifs et exigeants, sans gêne, ce sont des gagnants, voire des « guerriers » peu regardants sur les moyens utilisés pour obtenir leurs succès.
  • Ils ressentent peu ou pas de sentiments de culpabilité lorsqu’ils agissent de manière incorrecte, du moins consciemment. Ils se montrent fréquemment étonnés si on leur fait remarquer que leur attitude n’est pas précisément celle qu’on aurait souhaitée. La réponse pourrait être du type : « je l’ai engueulée, j’ai agi normalement quoi ! » ou « je lui ai passé devant parce qu’elle trainait ; elle n’avait qu’à avancer ! ».
  • Ils semblent persuadés que les autres devraient agir comme eux, et que s’ils ne le font pas, c’est simplement par manque d’auto affirmation. Leur devise plus ou moins avouée est que « la fin justifie les moyens » et que « la meilleure défense est l’attaque ».
  • Afin d’avoir raison ou de l’emporter dans de nombreux « duels » qu’ils ont à livrer dans les divers domaines ou ils se montrent actifs, ils font preuve de persévérance, voire d’acharnement. Dans leur conception des relations humaines, basée sur les rapports de force, il n’y a que des gagnants et des perdants, des « amis » et des ennemis. Cette attitude est bien ancrée et s’adresse de façon plus générale à toute la nature et aux êtres vivants qui la peuplent.
  • Les normosés agressifs aiment concourir activement dans leur champ de prédilection, ou voir conquérir leurs favoris, que ce soit dans le domaine sportif, politique, professionnel, financier, mondain, etc. Bien que ces caractéristiques soient plus ouvertement exprimés chez les hommes, les femmes ne sont actuellement plus en reste, peu importe le domaine considéré.
  • Leur vie sexuelle est souvent de nature compulsive, conquérante et dénuée d’engagement affectif responsable, ce qui leur rend difficile la fonction de parent ou de partenaire conjugal sur le long terme.
  • Les normosés agressifs recourent volontiers à la séduction quand la tonalité relationnelle est positive et joyeuse. En cas de succès, ils sont fréquemment triomphalistes, suffisants, voire arrogants. Ils deviennent par contre colériques ou méprisants, quand ce n’est pas vulgaire ou violents lorsque les transactions tournent au vinaigre ou a leur désavantage.

Lorsque ces traits de personnalités sont particulièrement marqués, la culture anglo-saxonne parle volontiers de killers (tueurs) en particulier dans le domaine sportif ou professionnel. Dans le domaine des affaires, il ne s’agit pas tant de négocier un accord équitable ou de rechercher des solutions win-win (gagnant-gagnant) que de l’emporter coute que coute, les moyens utilisés étant d’importance secondaire. De tels prédateurs n’existent pas que dans le monde des affaires, où on les qualifie volontiers de « requins » : ils peuvent se montrer actifs dans toutes les formes de relations humaines, dans leur vie sociale comme dans leur vie de couple et de famille. Il est à noter que cette attitude de gagnant ne leur apporte pas de contentement durable et apaisant puisque le normosé agressif persiste à agir de la sorte même si des succès notables ont été obtenus, entre autres dans la vie professionnelle ; autrement dit, il s’agit pour le normosé actif de faire « toujours plus de la même chose », le malaise principal consistant à ne jamais être rassasié, ce qui finit par rendre leur attitude caricaturale.

Bien que largement minoritaire au sein de la population normosée standard, tout semble indiquer que cette forme agressive de la normose contemporaine est actuellement en augmentation. A témoin, un extrait de la conclusion que Marie-France Hirigoyen propose dans son ouvrage intitulé « le harcèlement moral » 3 :

« de tout temps, il y a eu des êtres dépourvus de scrupules, calculateurs, manipulateurs, pour qui la fin justifiait les moyens, mais la multiplication actuelle des actes de perversité dans les familles et dans les entreprises est un indicateur de l’individualisme qui domine dans notre société. Dans un système qui fonctionne sur la loi du plus fort, de plus malin, les pervers sont rois. Quand la réussite est la principale valeur, l’honnêteté parait faiblesse et la perversité prend un air de débrouillardise ».

LA FORME PASSIVE OU DISCRETE DE LA NORMOSE STANDARD

Elle concerne une majorité de normosés standard. Ce sont eux qui constituent ce que certains politiciens ont appelé la « majorité silencieuse » ou « invisible » dont ils recherchent les votes en période électorale.

Ici, le conformisme domine : on obéit à ce qui est « tendance » en matière de comportement et d’attitude mais avec une certaine retenue que n’ont pas les normosés agressifs. Cette retenue est souvent le fruit d’une répression d’origine éducative : elle permet d’éviter la culpabililité et la peur ressentie après-coup en cas d’expression plus ouvertement agressive. Ce conventionnalisme leur permet de se rassurer et de peu ressentir le besoin de changer. Dans un article intitulé je suis dans la norme, et vous ? », W. Hesbeen 4 décrit :

« Certains se croient, en toute modestie, « bien pensants » c’est-à-dire, plus vraisemblablement, qu’ils ne pensent pas car ne questionnent pas ou si peu ou si mal leurs certitudes, leurs habitudes, leurs arguments ».

Les normosés passifs se sentent volontiers lésés ou même victimes, ce qui leur permet de ne pas se sentir responsable de leurs malheurs. Ils peuvent ainsi se muer occasionnellement en victimes revendicatrices, surtout s’ils sont encouragés par un mouvement d’opinion suffisamment fort.

Si les normosés passifs se montrent moins actifs et expressifs que leurs homologues plus agressifs, ils n’en admirent et envie pas moins ceux qui le sont, le plus souvent sans trop l’afficher, puisqu’ils craignent beaucoup le «qu’en dira t’on», et encore davantage la réprobation directe d’autrui. Les normosés agressifs les qualifieront volontiers de « mous » ou d’hypocrites.

En fait, les normosés passifs présentent beaucoup plus de décalage entre ce qu’ils pensent et ce qu’ils font, sauf peut être lorsqu’ils sont convaincus qu’on ne peut les observer.

LA FORME MIXTE

Il n’est pas rare que les normosés passifs présentent un trait agressif dans un domaine particulier, tout en étant généralement discret. Chez les normosés actifs, on peut également observer un trait passif alors qu’ils se montrent la plupart du temps agressifs : leurs tendances prédominantes peuvent par exemple se manifester uniquement au travail envers leurs employés, leurs collègues ou leurs élèves, alors qu’en famille ou dans leurs interactions sociales ils apparaissent comme effacés, sans grand relief, silencieux.

Bouh ! En effet, j’ai l’impression que nous connaissons tous des personnes qui ont ces types d’attitudes et de comportements. C’est vrai qu’on ne dit pas que ces gens sont « malades », le profil du « killer» est même valorisé dans un certain nombre d’entreprise quand ce n’est pas l’entreprise elle-même qui fonctionne comme ça!  Je comprends mieux pourquoi vous insistez à faire connaître ce concept de normose… Cela permet à ceux qui s’en dégagent de ne plus considérer comme normaux des comportements et attitudes que l’on considère habituellement comme tel et de savoir bien mieux se situer, agir et  éventuellement se protéger face à de tels profils de personnalité.

Oui, je me réjouis de votre compréhension. Ces attitudes ont des effets pernicieux très forts dans nos sociétés. Qui travaille en entreprise ou dans une organisation a déjà probablement pu assister aux dégâts humains et aux pertes d’énergie considérables qu’induisent ces personnalités normosés. Ce n’est pas pour rien que « burn-out » et « RPS (Risques Psycho Sociaux) » sont des termes « à la mode » dans beaucoup d’entreprises aujourd’hui. On pourrait parler aussi de la « vie politique »… mais n’en parlons pas… les  élections américaines et françaises qui se profilent parlent d’elles mêmes !

Je tiens cependant à souligner et à rappeler qu’il n’est pas question de juger quiconque ni d’enfermer les gens dans le monde aplati des petites cases, ce qui serait le contraire de mon discours et une façon de replonger tête première dans la normose. Il est bien plus question de prendre conscience de nos propres traits normotiques et de ceux des gens que nous côtoyons et d’agir dans la voie du changement et de l’évolution. La normose est un phénomène mondial et historique et il touche toute les sphères de la société (médias, politique, famille, santé, entreprise, religion…). Les normosés standard ne sont que des personnes plus prises que les normosés partiels dans la nasse des mémoires collectives, et peuvent, elles aussi, émerger dans la normose partielle et s’ouvrir à de grand changement dans leur conscience et leur mode de vie à l’occasion de certaines crises de l’existence mettant à mal leur façon de concevoir leur vie jusqu’alors.

Vous parlez de « mémoire collective », cela pose la question des origines de la normose, de son évolution au fil des siècles ? D’autre part, vous dites qu’elle touche toutes les sphères de la société. Comment celles-ci sont influencées par la normose d’aujourd’hui ?

Nous n’aurons pas l’occasion d’en parler dans le cadre de ces échanges qui ont pour but d’inviter nos lecteurs normosés partiels comme vous et moi à aller plus loin. Je les renvoie donc à l’excellent livre de F.Wulliemier  sur le sujet et dont j’ai voulu me faire l’écho. Je vous propose de conclure cette série d’article sur la normose par quelques mots sur la normose partielle (ou allégée).

LES NORMOSES PARTIELLES OU ALLEGEES

Autant la normose aggravée est une accentuation de la normose standard, autant la normose partielle en est un allègement (débutant, partiel ou avancé).

En nous référant aux instruments que sont les échelles hiérarchiques de stades évolutifs du développement humain, nous comprendrons beaucoup mieux en quoi les  normosés partiels se distinguent des normosés standard. Disons que selon leur degré d’allègement, les normosés partiels n’ont que les pieds dans la normose standard ou qu’ils y sont englués jusqu’au cou, mais que la tête au moins en émerge. Autrement dit, ils ont accès à un niveau de développement que les normosés standards n’ont pas encore atteint. Certains outils et apprentissages, leur seront de précieux alliés s’ils prennent suffisamment conscience de leurs conditionnements limitatifs et décident de s’en libérer. (Enseigner et développer ces outils sont les objectifs premiers des formations et stages que nous proposons aux particuliers et aux organisations dans le cadre de Metaphorm 1, l’organisme de formation que je dirige).

Nous ne développerons pas plus loin dans le cadre présent les stades de la normose partielle, étapes vers la libération de la normose. Ils ont à voir avec la prise de conscience et l’évolution hors des comportements et attitudes que décrit la normose standard. Les articles précédents et futurs sont orientés dans ce sens, en particulier le prochain qui traitera le la Spirale Dynamique : comment les hommes et les organisations changent et évoluent?

Une dernière question avant de conclure cette série d’articles sur la normose, pouvez-vous nous donner un exemple d’Etat Libéré ?

C’est une gageure ! Etant moi-même en chemin, je n’ai pas la prétention  d’en donner un éclairage autre que conceptuel. Or ce type « d’état de la conscience » dépassent le champ des conceptualisations intellectuelles, même si les concepts permettent de l’intuiter. Je préfère reprendre vos mots de « mort-vivant » et vous laisser méditer cette phrase d’un déporté à la sortie d’Auschwitz quand il est retourné à la vie civile, « lavé » d’une grande partie de sa normose :

« Ce qui était la vie pour les autres étaient devenu de la mort pour nous ».

 

1 : http://lavida-magazine.com/, et https://metaphorm.fr/blog/

2 : « La normose, peut-on s’en libérer ? » Ferdinand Wulliemier. Editions Recto Verseau

3 : « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien ». Marie-France Hirigoyen. Editions La Découverte et Syros.

4 : « Je suis dans la norme, pas vous ? » W.Hesbeen. Krankenpflege – Culture des soins, 5.2000

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